Une petite heure avec deux Marie.
Ces deux livres m'accompagnent lors de mes rêveries, quand le jour tombe. Ils racontent les petites choses faites dans l'intimité des maisons. Des faits et gestes qui n'ont rien à voir avec la révolution industrielle, ou la richesse et qui attendent leur heure pour renaître. Comme : écosser des haricots frais, la daube de pie (par chez moi, il y en a de bien belles et de bien grasses - faites attention, Mesdames, je risque de ressortir mon fusil à plomb !), la joie... C'est aussi le plaisir de faire des housses pour les chaises, des rideaux, un dais de fête...
Marie Rouanet nous raconte, page 327, :
"Réveillon dans un couvent de femmes"
"Après la messe de minuit, sans rompre avec la pauvreté qu'incarne la Nativité, les religieuses font réveillon.
Rien ne leur convient mieux que les treize desserts symbolisant le Christ et les douze apôtres. Trois nappes sur la table, trois cierges, trois coupelles de blé, naissant, comme la lumière. Et des assiettes blanches. L'une est garnie d'amandes ayant pris légère couleur brune dans une poêle chauffée. L'autre d'une brioche - l'avantage de la brioche est de ne pas contenir de sucre, de plus on peut diminuer le beurre entrant dans la recette. La troisième contient des biscuits minces et légers de la marque "Monastère" - ils proviennent d'un échange avec la chartreuse de Voreppe - la quatrième de la confiture de fraises, la cinquième des prunes sèches, la sixième des pâtes de coing qui brillent de sucre cristallisé - un jardinier leur apporte le surplus de sa production, aussi leur armoire à confitures est-elle bien garnie. En septième position les figues sèches ouvertes puis refermées sur une demi-noix. Neuf : des pommes reines des reinettes lumineuses de leur rose à joues. Dix : les abricots secs, petits soleils. Onze : du pain d'épice maison comme la brioche. Tout cela sera débité en petites portions car il s'agit moins de se nourrir que de se réjouir en grignotant. Au milieu des assiettes fume la chocolatière et à côté -ai-je bien vu ? - une bouteille de Maury, un vin naturellement sucré et fort en alcool.
Pas besoin d'en boire beaucoup pour être un peu pompette.
C'est ce qui arrive aux religieuses dans l'étrange nuit - sol blanc de gel, ciel blanc d'étoiles.
Au-delà de la clôture, sûrement, des anges dorés gardent les troupeaux des bergers partis pour adorer l'Enfant. Aucune ne doute qu'aujourd'hui, au coeur de l'hiver, est né le printemps."
La blancheur des coeurs, du linge et de la porcelaine, l'or des gâteaux et du vin, les bruns des fruits et du chocolat créent un divin contentement. La peur que le printemps ne revienne, les Ténèbres, qui ont peut-être imaginé pouvoir s'immiscer dans ce lieu, car le Temps est propice, se terrent dans les confins du Monde. La Lumière de ce festin les conjurent.