Timbrée.
L'heure est au désencombrement des caves et des greniers. Normal, il paraît que hier c'était le printemps et qu'aujourd'hui, c'est pile l'été. On ouvre la maison.
Rire est le propre de l'homme. Trier aussi. D'ailleurs, les deux mots sont presque des anagrammes. Il faut avoir un cerveau à plusieurs étages pour trier. Les animaux n'ont rien à choisir, ils ne gardent rien, les bienheureux. L'homme encombre son futur en empilant à l'infini son passé. Moi, j'empile grave car ça peut toujours servir et puis l'attachement. Ah ! l'attachement...
Il me semble qu'un autre travers me soit épargné : c'est le "ça doit avoir de la valeur - combien je pourrais le vendre à ton avis ?"
Amasser et trier : les 2 actions s'annulent. Si l'on ne fait ni l'un ni l'autre, on a un temps fou pour vivre. Peut-être qu'un jour, ça me viendra !
Soit...
Me voilà, face à un sachet plastique poussiéreux et rempli de timbres déchirés à de malheureuses enveloppes. Il sent le moisi. Pendant des années, on y a fourré des timbres colorés. Je leur trouve une beauté certaine.
Ça pourrait faire plaisir à un gamin qui s'ennuie et qui s'intéresse aux timbres. Alors, ça c'est comme le dodo, ça fait des années que ce genre a totalement disparu.
"Qu'en faire ?" Je pose la question à Alter car, si je suis équitable ces vignettes sont plus à lui qu'à moi. En cas de partage des biens, je lui aurais cédé tout le pochon. Mais, nous n'en sommes pas encore là et c'est moi qui me colle à l'ordonnance de notre lieu de vie. Là, je suis prête au geste fatal. L'engloutissement se rapproche.
Il lève vers moi des yeux sévères (c'est pas souvent !) et me fais comprendre que je dois me reprendre et reconsidérer ma décision. Cela lui ferai bien plaisir.
Je décide de prendre en charge la chose. L'idée me vient d'un collage. C'est vrai qu'un timbre c'est toujours joli. Il me faut trier et découper !
Dans le fouillis, je trouve :
- une vieille boite de biscuits apéritifs suisses, rouillée avec des doubles dedans, bien rangés.
- une note écrite de sa main à lui, un jour où il a trouvé le Nord (preuve que ces timbres sont bien sa propriété - une note olographe a de la valeur devant un tribunal)
- un assortiment de pansements Tricostéril au Benzododécinium - ça doit plus être autorisé aujourd'hui.
- une carte de visite d'une boutique à Honolulu Hawaï Claudette's Creations, 615 - Pukoi Street - Claudette Park, la patronne était intéressée par les chaussures de soirée qu'elle avait vues à Paris au salon du Prêt à Porter, en avril 1981. Ces modèles lui ont été présentés à New York, l'été suivant. Ça aussi c'est lui qui l'a écrit au dos. Encore une preuve que je prends en charge des biens qui ne sont pas à moi. Cela risque de me faire perdre du temps. Beaucoup de temps.
- quelques yuans chinois - restes d'un voyage qui, là encore, n'était pas le mien.
Vestiges pré-textes.
Oserai-je me servir des pansements, un jour ?