LE MANUSCRIT DE MARCELLE
Marcelle est née le 27 mai 1912. Ses parents venaient d'Italie. Ils avaient acheté une grande campagne à la Coudoulière. 3 000 mètres carrés de jardin.Elle n'est pas allée longtemps à l'école. Seulement l'hiver, quand la campagne est triste et maussade. Jusqu'à 14 ans. Elle n'a pas eu le certificat d'études mais elle observait la campagne, les fleurs, les champs et l'eau. Elle s'imprégnait. Elle accomplissait les tâches de la ferme en sautillant et en souriant. Tout était bonheur et beauté.
Elle a écrit tout ça pour moi, pour nous. Gratitude immense.
Son manuscrit est un morceau de ciel. Une porte grande ouverte sur le passé, dans laquelle il est bon de s'engouffrer. J'ai entendu les voix, j'ai respiré les parfums de clématite sauvage, de lait et d'huile d'olive, la souffrance et le bonheur. J'ai tout vu. Marcelle m'avait pris la main sur le sentier d'argile tassé. Je suis allée si loin. J'ai même vu François faire l'arbre droit dans le bassin d'arrosage, laisser dépasser ses pieds et les agiter pour faire rire ses petites soeurs. Ma fille Florence adore aussi faire l'arbre droit dans la mer.
Son texte est précis et très documenté. Le passage sur la pêche aux oursins est étonnant.
La pêche aux oursins
Avec mes frères, et mes sœurs, parfois des amis ou des cousins, nous allions le soir de pleine lune à la pêche aux oursins. Une pêche étonnante des mois en R.
C’est à ce moment là, que les oursins sont les meilleurs et bien pleins. Avec le clair de lune on y voyait très bien, et c’est le moment propice où les oursins sortent de l’eau. Nous allions à la jetée de la Coudoulière, notre meilleur coin. A l’époque, elle n’était pas si grande ni si belle mais il n’y avait pas de pollution, pas encore !
Nous descendions au bord de l’eau, toujours du côté du port, là, la mer était plate et très calme. C’est là que les oursins sortaient de leur cachette et montaient peu à peu tout au bord de l’eau, le long des rochers.
Il faut tâtonner toute de même un peu avant de trouver les oursins, et faire très attention, car on se pique souvent quand on les pêche. Il faut chercher dans les creux des rochers parfois obscurs ; une lampe était alors nécessaire. Nous avions une bougie dans le « fanal » des voitures à chevaux, et ne pas hésiter à se déplacer fréquemment à la recherche des oursins. C’est pénible de marcher le long des rochers au bord de l’eau.
Nous parvenions à remplir 2 ou 3 cageots selon nos besoins. Mes frères étaient heureux de leur trouvaille, ils prévoyaient toujours un couteau de poche pour décoller quelques patelles ou « arapèdes » que nous dégustions sur place, et quelques crabes en prime pour le riz.
Je me souviens les premières années quand nous étions trop petites, mes frères nous faisaient rester là-haut sur la jetée. Nous faisions le va-et-vient sans les gêner, pour notre plus grande joie, nous regardions les rares barques amarrées le long du quai. Quelquefois il y avait un gros bateau qui venait d’Italie pour charger les tuiles et briques, on voyait les ouvriers qui chargeaient le bateau avec des brouettes, tout ça ressemblait à des fourmis quand elles font le va et vient.
Il y avait de gigantesques tas de tuiles et de briques de toutes les grosseurs bien rangées par tas, sur l’esplanade devant l’usine qui arrivaient jusque sur le quai du port de la Coudoulière.
Usine de briques Romain Boyer.
Mes arrières-grands parents habitaient un peu plus loin, derrière l'usine.
Ces trois photos viennent du blog de la Coudoulière :
http://coudouliere.blogspot.fr/search/label/port