MERE

   Dans ma famille, les certitudes et les habitudes ont été chamboulées à la suite d'évènements importants : départ de mes 2 filles ces dernières années et grave maladie de ma mère avec qui la relation était inexistante depuis longtemps peut être depuis toujours. J'ai été assaillie d'émotions fortes, ravivant des blessures anciennes et redistribuant les cartes. Ce qui a  abouti à un changement radical d'attitude. Sensation  subtile et étrange : je déclarais à qui voulait l'entendre que je n'étais plus mère...

Les cinquante premières années de ma vie ont été ça : faire, défaire et refaire la famille à chaque instant. Ca tremblait, ça cahotait, parfois ça filait et moi je veillais sérieuse. Curieuse de tout et concentrée : je voulais tout connaître et tout savoir d'elles et de moi. J' investissait de toutes mes forces, de tout mon amour et de toutes mes faiblesses mon côté de la relation. J'ai remis tous les jours sur l'ouvrage. J'avais mon intériorité à reconstruire.  Patiemment elles m'ont élevée. Et puis d'un coup c'est fait : nous avons grandi ensemble. Découverte d'une liberté ébouriffante. Ne reste que l'amour pour elles. Je flotte. La prise en charge et les responsabilités tombent, obsolètes. Je ne vis plus en famille. Plus de parents ni d'enfants. Mais quatre adultes.

Il me restait le manque, l'attente et la douleur laissés par toutes ces femmes avant moi, mères, dans l'impossibilité d'aimer n'ayant pas été désirées et aimées elles-mêmes. Comment  venir à bout de ces déchirures, de ces lacérations ? Comment épuiser la douleur ? Un jour j'ai lu YANN MOIX NAISSANCE page de garde "La naissance ne saurait être biologique : on choisit toujours ses parents. Naître, c'est semer ses géniteurs. Non pas tuer le père, mais tuer en nous le fils. Laisser son sang derrière, s'affranchir de ses gênes. Chercher, trouver d'autres parents : spirituels. Ce qui compte, ce n'est pas la mise au monde, mais la mise en monde. Naître biologiquement, c'est à la portée du premier chiot venu, des grenouilles, des mulots, des huîtres. Naître spirituellement, naître à soi-même, se déspermatozoïder, c'est à la portée de ceux-là seuls qui préfèrent les orphelins aux fils de famille, les adoptés aux programmées, les fugueurs aux successeurs, les déviances aux descendances. Toute naissance est devant soi. C'est la mort qui est derrière. Les parents nous ont donné la vie ? A nous de la leur reprendre. Le plus tôt possible." Et voilà comment la littérature a toujours été là pour moi et très tôt. Littérature médicament. Littérature racommodage. Tu as toute ma gratitude. Grâce à Yann, je sais que ce n'est pas être mère qui me gênait mais être fille. Je reprends le cours de ma vie autonome et sans haut le coeur j'accepte d'être  fille et mère pour toute la vie.... mais autrement maintenant. Et cela n'a pas finit de changer !!!

ABECEDAIRE des années 80. Chiné et encadré avec un cadre retaillé, rafistolé et cérusé. Illustre bien le thème de la maternité et un monde de l'enfance idéal, comme un paradis aujourd'hui disparu !!!